What Kind of Citizen for Europe?

AuthorStéphane Caporal, PhD
PositionProfessor. Jean Monnet University of Saint-Etienne, France
Pages127-152

Page 127

C'est en Europe que naît le citoyen en même temps que la cité. Non par l'effet d'une doctrine mais dans l'avènement d'une civilisation qui s'épanouit sur les bords de la Méditerranée, d'abord en Grèce puis dans le Latium. Comme le grec était pólitës membre de la pólis, le romain est civis membre de la civitas, l'un et l'autre termes expriment l'appartenance à un ordre politique, póliteia ou res publica, qui dépasse et transcende les destinées individuelles de ceux qui le composent.

Pourtant, si l'on en croit Emile Benveniste, les termes grec pólis et latin civitas "n'ont en eux-mêmes rien de commun. Mais l'histoire les a associés d'abord dans la formation de la culture romaine où l'influence grecque a été déterminante, puis dans l'élaboration de la civilisation occidentale moderne" (Benveniste, 1969, p. 367). Rappelant d'abord qu'en grec, pólis montre encore "à date historique" le sensPage 128de "forteresse, citadelle" (Benveniste, 1969, p. 367)1, qui trouve sa correspondance dans d'autres langues indo-européennes, Benveniste précise aussitôt que ce vieux terme indo-européen, a pris en grec - et seulement en grec - le sens de ville "ville, cité", puis "Etat". Selon Benveniste, si le citoyen grec est tel parce qu'il est membre d'une cité, il en va un peu autrement en latin (Benveniste, 1969, p. 367). Pour correspondre au grec pólis, le latin a "le terme secondaire ciuitas, qui indique littéralement l'ensemble des cives "concitoyens". Il s'ensuit que le rapport que le latin établit entre civis et civitas est à l'inverse de celui que le grec montre entre pólis "cité" et pólitës "citoyen" (Benveniste, 1969, p. 367). Autrement dit, ici ce sont les citoyens qui forment la cité et non la cité qui institue les citoyens.

Le croisement des constructions linguistiques livre une première interrogation sur la formation de la citoyenneté: est-ce la cité qui crée le citoyen ou bien l'inverse? A l'heure où l'Europe prétend se construire comme unité politique autour d'une citoyenneté issue des traités, cette question reçoit un éclairage particulier. Si la pólis précède nécessairement le citoyen, la citoyenneté européenne n'est qu'une pseudo- citoyenneté. Si ce sont les citoyens qui forment la civitas, il convient d'examiner si la citoyenneté européenne présente une consistance suffisante pour fonder l'organisation politique fédérative que prétend porter l'Union européenne. Car, que la perspective soit grecque ou romaine, il reste qu'avec Michael Walzer, on peut définir le citoyen comme "le membre d'une communauté politique, doté des obligations et des prérogatives attachées à cette appartenance" (Walzer, 1989, p. 211) et que ces prérogatives résident essentiellement dans la participation à la décision politique c'est-à-dire ce que nous appelons l'exercice des droits politiques.

Cependant, si le terme romain citoyen (civis) désigne précisément la condition d'homme libre, il ne saurait à l'évidence s'agir d'un homme abstrait. Les Romains, comme les Grecs, savent que l'homme est un zoon politikon aristotélicien. Dès lors, il n'y a de citoyens que rassemblés au sein de la res publica et l'inversion sémantique signalée par Emile Benveniste s'en trouve nettement relativisée.

Le citoyen se caractérise donc par l'appartenance à un ordre démocratique, mais encore faut-il savoir ce qui dans cet ordre permet de forger la citoyenneté. Si la participation politique manifeste juridiquement l'exercice de la citoyenneté, pour Alain Touraine, être citoyen, c'est "se sentir responsable du bon fonctionnementPage 129des institutions qui respectent les droits de l'homme et permettent une représentation des idées et des intérêts. Ce qui est beaucoup, - ajoute-t-il - mais n'implique pas une conscience morale ou nationale" (Touraine, 1992, pp. 380- 381). La précision relative aux droits de l'homme suscite une interrogation quant à son statut épistémologique : s'agit-il d'une condition socialement admise à l'époque actuelle - on en sera d'accord -, ou d'une condition substantielle d'existence du concept auquel cas il faudrait croire que Grecs et Romains ignoraient ce qu'est un citoyen ?

A l'évidence, la question ne peut recevoir qu'une seule réponse, mais du même coup, elle peut, sinon invalider, du moins remettre grandement en cause les discours qui prétendent fonder une citoyenneté en Europe, à partir de la seule philosophie des droits de l'homme. A travers plusieurs études, Dominique Schnapper a magistralement passé au crible la problématique contemporaine de la citoyenneté ainsi que les discours, académiques ou militants, qui se réfèrent à une "nouvelle citoyenneté" adossée à l'universalisme des droits de l'homme2. Elle en a aussi souligné les faiblesses et les impasses en critiquant l'abus du terme citoyen "utilisé à tout propos, jusqu'à être galvaudé" (Schnapper, p. 11). Dans une même perspective critique, on se propose d'examiner dans un premier temps, les discours qui envisagent le citoyen européen comme un titulaire des droits de l'homme (I) puis, dans un deuxième temps, celui qui fait de ce citoyen le sujet d'une philosophie politique des droits de l'homme (II). Enfin, dans un troisième temps, on tentera de dégager les réquisits de la citoyenneté (III).

1. Le Citoyen Europeen Comme Tutulaire des Droits de L'Homme

Dominique Schnapper indique que les théoriciens et les partisans de la "nouvelle citoyenneté", qui se confondent le plus souvent, critiquent la notion de citoyenneté classique, à la fois sur le plan des faits et des valeurs (Schnapper, p. 179)3. CesPage 130auteurs, au premier rang desquels Elizabeth Meehan, plaident pour une conception nouvelle de la citoyenneté, "de nature économique et sociale, qui fonde une nouvelle pratique démocratique, qualifiée de participative". Pour les représentants de ce courant, majoritairement nord-européen ou nord-américain, la citoyenneté "ne se définit plus seulement par un ensemble de droits-libertés - définition politique liée à l'Etat-nation - mais (...) ce sont les droits-créances qui deviennent les véritables droits politiques" (Schnapper, Citoyenneté et nationalité... , p. 180).

De plus, le droit positif montre que des étrangers en situation régulière, bien que n'étant pas citoyens, et donc dépourvus des droits politiques, peuvent se prévaloir de l'ensemble des droits de l'homme. Meehan et de nombreux autres auteurs en tirent argument pour mettre en cause la netteté de la distinction entre citoyens et non-citoyens. Selon ces auteurs, posséder la plénitude des droits politiques serait devenu moins significatif que "disposer d'un emploi régulier et de tous les droits qu'il implique". Mme Schnapper souligne l'usage fréquent d'une formule selon laquelle la société politique serait "dévaluée" pendant que corrélativement, les sociétés étant "de moins en moins politiques, les étrangers en situation régulière disposeraient de l'essentiel des moyens de participer à la vie collective" (Schnapper, Citoyenneté et nationalité... , pp. 181-182). Parmi les indices de cet affaiblissement de la citoyenneté nationale, "les régularisation des clandestins, présents sur le sol national, auxquelles procèdent régulièrement tous les gouvernements européens" (Schnapper, Citoyenneté et nationalité... , p. 182). L'individu, sujet des droits de l'homme, prend le pas sur le citoyen.

Dès lors, la citoyenneté nationale devient "de moins en moins importante parce que le rôle de l'Etat national n'est plus militaire et politique : il doit d'abord agir pour réguler la production et la redistribution des biens collectifs (protections sociale, éducation, emploi)" (Schnapper, Citoyenneté et nationalité... , p. 182). L'Etat réduit à n'être qu'un prestataire de service devient une simple organisation, "corps sans âme" aurait dit Georges Burdeau, qui se substitue à l'Etat comme institution où la mystique républicaine du citoyen héritée de l'Europe antique n'a plus sa place.

L'étude des discours académiques et de la pratique fait apparaître une conception juridico-économique, mais non véritablement politique, du citoyen européen (1). Cette conception a pour corollaire historique d'une part l'affirmation déontique d'une identité entre l'individu sujet des droits de l'homme et le citoyen (2), et d'autre part, la description sociologique de cette identité (3).Page 131

1.1. La Conception Juridico-Economique du Citoyen Européen

Selon Dominique Schnapper, aujourd'hui, les théoriciens et partisans d'une nouvelle conception de la citoyenneté estiment que "la construction de l'Europe est en train de libérer les acteurs économiques des restrictions imposées par les frontières et par les législations héritées de l'âge des nations et des nationalismes. Dans la vie collective, c'est désormais la participation économique et sociale qui est devenue prépondérante. La véritable appartenance à la collectivité ne se définit plus par la participation à la politique mais par l'activité économique" (Schnapper, Citoyenneté et nationalité... , p. 180). On passerait ainsi de la citoyenneté politique classique à une citoyenneté économique se caractérisant par la participation à la décision économique. Or, dans la perspective ouverte par cette conception, tous les...

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