La question de la définition du contrat en droit prive : essai d'une théorie institutionnelle

AuthorHervé Magloire MONEBOULOU MINKADA
PositionLecturer
Pages88-128
La question de la définition du contrat en droit prive :
essai d’une théorie institutionnelle
Lecturer Hervé Magloire MONEBOULOU MINKADA
1
Abstract
Classically, the r oot of the contra ct is the agr eement of the contracting parties.
That is why, sometime people consider the contract as the agree ment of the contra cting
parties. However, the agr eement is not the contract. The both are different. In fact, if for
the contracting pa rties there is a contra ct after an agreement, for the law there is a
contract when the agr eement of the contra cting parties resp ects the fra me previewed by the
law. That is why the contract must be an in stitution. This view of the contract enables t o
have another meaning a nd to gather the keys ideas of the different opinions on the meaning
of the contr act. Thanks to the contract a s an institution, we ca n no longer be afraid of the
crisis of the contra ct.
Keywords: contra ct, private law, autonomy of will, contractua l solidarity.
JEL Classification: K12
1. Considérations préliminaires
Il est certainement téméraire et risqué de chercher une nouvelle grille de
lecture du contrat après autant de controverses doctrinales2. Une opinion
majoritaire de la doctrine sacralise l’omnipotence de l’accord de volontés dans la
définition du contrat3. Si on respecte cette opinion, on s’en désolidarise en
relativisant l’omnipotence de l’accord de volontés dans la genèse juridique du
contrat en droit privé. Cette ambition a pour socle la logique institutionnelle du
contrat. Pour y parvenir, il est apodictique de préciser la terminologie du contrat et
celle de l’institution dans leur appréhension classique.
Le mot contrat vient du latin contractus, dérivé de contrahere, et signifie
rassembler, réunir, conclure. Pour préciser l’origine sémantique du mot contrat, on
se réfère à la convention. Le mot convention vient du latin conventio, dérivé de
convenire qui signifie venir ensemble, d’où être d’accord. Conclure un contrat c’est
se mettre d’accord sur quelque chose. La convention désigne tout accord de
volonté entre deux ou plusieurs personnes destiné à produire un effet de droit
quelconque : créer une obligation, transférer la propriété, transmettre ou éteindre
1 Hervé Magloire Moneboulou Minkada - Faculty of Law and Political Science, University of Douala,
Cameroon, moneboulou@yahoo.fr
2 La notion de contrat a connu plusieurs grilles de lecture selon que l’on s’inscrit dans le courant du
libéralisme économique, de l’interventionnisme étatique, enfin du solidarisme contractuel. Les
détails sur ces doctrines seront exposés dans les développements ultérieurs.
3 On reviendra largement sur les auteurs qui sacralisent et articulent la définition du contrat autour de
l’accord de volontés. Toutefois, on peut citer à titre indicatif : Beaumanoir, Domat, Pothier,…
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une obligation
4. Il est établi que la convention est un accord de volontés entre deux
ou plusieurs personnes en vue de produire des effets de droit5. C’est aussi un acte
juridique conventionnel générateur d’obligations et permettant le transfert des
droits réels6. En réalité, le contrat est une variété d’une catégorie plus large qui
serait la convention. Le contrat se distingue de la convention, terme plus générique
désignant tout accord produisant des effets de droit. Si tout contrat est une
convention, l’inverse n’est pas vrai ; car il existe des conventions qui ne créent pas
d’obligations, mais les transfèrent ou les éteignent7. Cependant en pratique, on
parle souvent indifféremment de contrat ou de convention8. C’est ainsi que l’article
1101 du code civil définit le contrat comme une, « convention par laquelle une
ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou pl usieurs autres, à donner, à faire
ou à ne pas faire quelque chose 9». Cette définition fait du contrat une convention
génératrice d’obligations10.
Il importe de ne pas confondre le contrat avec les accords volontaires non
obligatoires. Ne constituent pas des contrats, les accords de volontés qui font naître
les obligations sociales11 ou morales. Ne produisent pas des effets de droit :
l’entraide familiale ou amicale, les relations mondaines12, l’engagement
d’honneur13. On ne saurait citer la lettre d’intention parce qu’elle constitue, selon
les circonstances de l’espèce, un simple engagement moral ou un véritable contrat
pouvant obliger le débiteur d’assurer le résultat14. En bref, la qualification de
contrat devrait être écartée « lorsque l’accord des volontés n’a pas donné naissance
à des effets pourvus d’une force juridique obligatoire15 ». De tels accords,
dépourvus de sanction juridique, appartiennent au non-droit16.
Cet exposé classique sur la notion de contrat constitue l’objet de
l’analyse, dont il convient de mettre en relief avec le concept : « institutionnel ».
L’adjectif « institutionnel »dérive du substantif : « institution », qui a la valeur (la
4 Comité de rédaction, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 1e éd., sous la dir. de
Gérard Cornu, PUF, Paris, 1987, p. 266.
5 J. Ghestin, La notion de contrat, Recueil Dalloz, 1990, p, 147.
6 Ph. Malinvaud et D. Fenouillet, Droit des obligations, 11e éd., Litec, Paris, 2010, p. 45.
7 A. Bénabent, Droit civil, Les obligations, 11e éd., Montchrestien, LGDJ, Paris, 2007, p. 12.
8 R. Cabrillac, Droit des obligations, 9eed, Dalloz, Paris, 2010, p. 16. ; Co mp. avec la notion
d’accord : v. Guenzoui, La notion d’accord en droit privé, L.G.D.J, Bibl.dr.privé, 2009, t. 502,
pref. C. Hanoun.
9 Cette définition a été reprise par J. Gatsi, Nouveau Dictionnair e juridique, 2e édition, PUL,
AVUDRA, Douala, 2010, p. 88.
10 B. Fages, Droit des obligations, L.G.D.J, EJA, Paris, 2007, p. 17.
11 Ex : l’acceptation d’une invitation à dîner, la promesse de rendre service.
12 Soc.31 jan.2007, RDC 2007.1085, obs. J. Rochfeld : Le PARE, plan d’aide au retour à l’emploi, qui
contente de rappeler des engagements déjà existants en vertu de la loi, n’est pas un contrat.
13 Cf.B. Oppetit, « L’engagement d’honneur », D. 1979. 111.
14 M. Cabrillac, C. Mouly, P. Petel et S. Cabrillac, Les sûretés, 8e éd., Litec, 2007, n°s 478 et s. et les
décisions citées.
15 J. Ghestin, « La notion de contrat », in Revue Droits n° 12, 1990, p. 19.
16 J. Carbonnier, Flexible droit, 7e édition, L.G.D.J., 1992, p. 7 et s.
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pérennité) d’une institution; qui échappe aux volontés particulières
17. Pour cerner
l’adjectif institutionnel, il faut se référer au substantif : institution.
Sous le prisme juridique, l’institution n’était qu’une des espèces du genre
personnes juridiques, qu’on opposait aux corporations. Seule la théorie de la
personnalité morale a recouru à ce concept. Cette théorie s’est développée d’abord
et principalement en droit privé. L’idée d’institution est demeurée stérile en droit
public18. La doctrine germanique l’a mise à profit afin d’élucider la notion de
personne juridique. En droit administratif allemand s’est dessinée la figure de
l’office public (Anstall), qui ne serait pas une personne juridique, mais une unité
composée d’un ensemble de moyens matériels ou personnels réunis dans les mains
d’un sujet de droit relevant de l’administration publique, pour le service permanent
d’un intérêt public déterminé : l’armée, une école, un observatoire, une académie,
les postes, etc19. En France, Maurice Hauriou estimait que l’institution constitue
une catégorie générale apte à expliquer bon nombre de principes et à recevoir
d’importantes applications. C’est une organisation sociale20. Pour Maurice
Hauriou21, l’institution se veut une réalité qui constitue, soit un organisme
existant22, soit lorsque s’y dégagent la conscience d’une mission et la volonté de la
remplir23 etc. Dans un sens large, l’institution renvoie à un ensemble d’éléments
constituant la structure juridique de la réalité sociale; ensemble des mécanismes et
structures juridiques encadrant les conduites au sein d’une collectivité24. Selon
Santi Romano25, l’institution désigne tout être26 ou corps social27. Pour Rawls, une
institution renvoie à un système public de règles qui définit des fonctions et des
positions avec leurs droits et leurs devoirs, leurs pouvoirs et leurs immunités et
ainsi de suite. D’après ces règles, certaines formes d’action sont autorisées,
d’autres sont interdites ; en cas d’infractions, elles prévoient des peines, des
mesures de protection et ainsi de suite28.
17 Comité de rédaction, Vocabulaire juridique, Association Henr i Ca pitant, 1e éd., sous la dir. de
Gérard Cornu, Paris, 1987, p. 500.
18 S. Romano, L’ordre juridique, 2e éd., Dalloz, Paris, 2002, p. 20.
19 V. principalement O. Mayer, Deutsches Verwaltungsrecht, II, § 51 ; Fleiner, Institutionen des D.
Verwaltungsrechts, 3e ed., Tübingen, 1913, § 18.
20 « Tout arrangement permanent par lequel, à l’intérieur d’un groupement social déterminé, des
organes disposant d’un pouvoir de domination sont mis au service des buts intéressant le groupe,
par une activité coordonnée à celle de l’ensemble du groupe ».
21 M. Hauriou, « La théorie de l’institution et de la fondation », in Les Cahier s de la nouvelle journée,
1925, IV; Principes de dr oit public, Sirey 1910 et 1916 ; Précis de droit constitutionnel, Sirey, 2e
éd., 1929, p. 71 et s.
22 Exemple : un établissement administratif
23 Comité de rédaction, Vocabulaire juridique, Association Henri Ca pitant, op.cit., p.499.
24 Ibid.
25 S. Romano, op.cit., p. 25.
26 L’être dont nous parlons doit avoir une existence objective et concrète.
27 L’institution est un être ou un corps social en ce sens qu’elle est une manifestation de la nature
sociale et non purement individuelle.
28 J. Rawls, Théorie de la justice, Editions du Seuil, Paris, 1987, p. 86.

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