Le Tribunal Criminel Spécial au Cameroun et les grands principes de la justice criminelle: étude comparative sur les Lois de 1961 et 2011

AuthorHervé Magloire Moneboulou Minkada
PositionFaculty of Juridical and Political Science at the University of Douala, Cameroon
Pages139-165
Le Tribunal Criminel Spécial au Cameroun et les grands principes
de la justice criminelle: étude comparative sur les Lois de 1961 et 2011
Assistant Professor Ph.D. Hervé Magloire MONEBOULOU MINKADA
1
Abstract
The following paper deals with the special criminal court and the principles of the
criminal justice. We compare the la w of 1961 and 2011, which create these courts. In fact,
we appreciate if these courts respect the general principles of the criminal justice in
Cameroon. The aim is to have the whole knowledge as far as special criminal court s a re
concerned and to purpose the manner to improve the 2011 court.
Keywords: criminal justice, the special criminal court, Cameroon, principle of double
degree of jurisdiction, principle of the separation of judicial functions.
JEL Classification: K14
Introduction
Dans une société organisée, l’Etat assure l’application du droit par
l’institution qu’on appelle «pouvoir judiciaire2». Il crée et organise à cet effet les
juridictions. Un distinguo s’établit entre les juridictions de droit commun et les
juridictions d’exception. Si les juri dictions de droit commun c onnaissent en
principe de tous les litiges, à l’exception de ceux dont la compétence leur est
enlevée par une disposition expresse; les juridictions d’exception connaissent des
affaires qui leur sont formellement attribuées par la loi3.
Les juridictions d’exception, qui intéresse la présente analyse, se
caractérisent au Cameroun4 par la stabilité et l’instabilité. Par juridictions
d’exception stables, on entend celles qui existent et fonctionnent indépendamment
de la conjoncture. On en veut pour preuve: le Tribunal militaire5, la Cour de sûreté
1 Hervé Magloire Moneboulou Minkada, Faculty of Juridical and Political Science at the University
of Douala, Cameroon, moneboulou@yahoo.fr
2 Dans un Etat où la séparation des pouvoirs est la règle, il est d’usage de distinguer le pouvoir
exécutif, législatif et judiciaire. Le pouvoir judiciaire qui intéresse l’analyse, est incarné par
l’ensemble des magistrats ayant pour mission de dire le droit et de trancher les litiges entre citoyens,
entre institutions et entre citoyens et institutions. Au Cameroun, on parle enfin «du pouvoir
judiciaire» conformément à l’article 41 de la loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la
constitution du 02 juin 1972. Il convient de reconnaître que sous l’empire de la constitution du 02
juin 1972, notamment l’article 31, il a été question «de l’autorité judiciaire». Ainsi, «Le Président de
la république est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire et nomme les magistrats».
3 R. Sockeng, Les institutions judiciair es au Cameroun, 3e édition, Groupe Saint François, Douala,
1998, p. 37; J. M. Tchakoua, Introduction générale au droit camerounais, PUCAC, Collection
«Apprendre», Yaoundé-Cameroun, 2008, p. 228; F. Terre, I ntroduction générale au dr oit, Précis
Dalloz, 7e édition, Paris, 2006, pp. 102-103.
4 Etat d’Afrique centrale, sur le golfe de Guinée; 475 000 km carré; 20 000 000 hab. cap. Yaoundé.
Langues: anglais et français. Monnaie: franc. CFA (Le Petit Larousse, Paris, 1999, p. 214.)
5 Le Tribunal militaire est organisé par l’ordonnance n° 72/5 du 26 août 1972 plusieurs fois modifiée
jusqu’à la loi n°2008/015 du 29 décembre 2008 portant organisation du tribunal militaire. A
Volume 2, Issue 2, December 2012 Juridical Tribune
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de l’Etat
6 et la Haute cour de justice7. A l’inverse, les juridictions d’exception
instables désignent celles dont la création et l’existence sont tributaires de la
conjoncture. Cette catégorie convient mieux au tribunal criminel spécial.
Le tribunal criminel spécial est loin d’être une innovation au Cameroun. En
effet, un premier tribunal criminel spécial est créé au Cameroun en avril 19618. La
conjoncture qui a gouverné la création de ce tribunal était la répression des
infractions attentatoires à la fortune publique. En effet, c’est pour combattre les
prévarications des groupements pré-coopératifs d’achat du cacao habilités par
l’Etat Camerounais à attribuer des primes p our le cacao reconnu « supérieur » et le
non-reversement des impôts locaux par les chefs traditionnels que fut promulguée
au Cameroun la loi du 4 avril 19619.Ce tribunal criminel spécial a été supprimé par
les dispositions abrogatoires de l’ordonnance n°72/4 du 26 août 1972 portant
organisation judiciaire10. Le tribunal a été supprimé parce que les actes de
corruption ou ceux susc eptibles d’être appréhendés pa r les dispositions de l’article
184 du code pénal avaient disparu des comportements sociaux quotidiens des
gestionnaires de la chose publique. En fait, les règles de fonctionnement du tribunal
de 1961 ne répondaient plus aux exigences de l’Etat de droit, issu de la constitution
unitaire de 1972. Le préambule de cette constitution garantissait aux citoyens
camerounais des droits et des libertés publiques. Ces droits et libertés publiques
étaient compatibles avec les instruments juridiques internationaux ratifiés par le
l’origine, il y avait un seul tribunal militaire siégeant à Yaoundé, et couvrant toute la République.
Mais d’autres tribunaux militaires ont été créés dans d’autres villes (Douala, Bafoussam, Garoua).
6 Les bases juridiques de la Cour de sûreté de l’Etat résultent de deux importantes lois. La première, la
loi n° 90/058, modifie les articles 1 et 2 de la loi n° 89/019 du 29 décembre 1989 et insère la Cour
de sûreté de l’Etat parmi les juridictions de l’ordre judiciaire. La seconde, la loi n° 90/060 organise
la Cour et lui donne compétence pour connaître de certaines infractions qui, jusque-là, étaient de la
compétence du tribunal militaire. La loi du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire a
abrogé l’ordonnance n° 72/04 du 26 août 1972 ayant le même objet. Parmi ces modificatifs
subséquents abrogés, il y a incontestablement la loi n°89/019 du 29 décembre 1989, elle-même
modifiée par la l oi n° 90/058 du 19 décembre 1990. Une certitude se dégage, le texte instituant la
Cour de sûreté de l’Etat a été abrogé, mais une loi ne peut abroger une institution constitutionnelle.
Ce qui justifie la survie juridique de la Cour de sûreté de l’Etat, nonobstant le mutisme de l’article 3
de la loi du 26 décembre 2006 portant organisation judiciaire.
7 L’histoire de la Haute cour de justice débute avec la constitution du 4 mars 1960, qui la prévoit en
ses articles 44 et 52. Après plusieurs modifications, cette juridiction est réaffirmée par la loi
constitutionnelle du 18 janvier 1996 modifiée par la loi n°2008/001 du 14 avril 2008, qui la prévoit
en son article 53.
8 Il s’agit de la loi n°61/06 du 4 avril 1961 créant un tribunal criminel spécial, promulguée par l’ex-
Président Ahmadou Ahidjo, au Journal Officiel de la République du Cameroun du 26 avril 1961.
9 F. D. Djonko et B. Embolo Bina, «Les tribunaux criminels spéciaux de 1961 et 2011: lectures socio-
judiciaires comparées d’une juridiction polémique», in Miroir du droit, «Le tribunal criminel
spécial: que pensent les dialoguistes», Yaoundé, 2012, p. 50.
10 Me H. Meli, «Sur le Tribunal criminel spécial: un monstre judiciaire est né» interviewé par Claude
Tadjon, Le Jour, publié le lundi 16 janvier 2012 dans le site
http://www.cameroun24.net/?pg=actu&ppg=4&id=3972 p. 1; l’article 35 de l’ordonnance n° 72/4
du 26 août 1972 portant organisation judiciaire dispose que sont abrogées la loi n°62/10 du 9
novembre 1962 ainsi que toutes dispositions contraires à la présente ordonnance, sonnait le glas du
tribunal criminel spécial (F. D. Djonko et B. Embolo Bina, «Les t ribunaux criminels spéciaux de
1961 et 2011: lectures socio-judiciaires comparées d’une juridiction polémique», op. cit., p. 54.)

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