Une approche ethique de la relation d'aide dans la pratique du travail social la relation d'aide, entre violence et autonomie

AuthorJean-Charles Sacchi
PositionUniversité Catholique de Saint-Brieuc Lycée Saint Charles- Saint Brieuc
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Introduction générale

Je me permets pour introduire mon exposé de citer Aristote : « l'homme nous dit-il est un animal politique », ce qui signifie plus précisément « qu'il n'est vraiment homme qu'en société » ; Mais Aristote rappelle aussi que le désir le plus fort de tout homme est le bonheur. Dès lors se pose la question : comment l'homme peut-il réaliser ce désir en société ? Est-ce possible et à quelles conditions ? Pour réaliser ce désir il faudrait que chacun puisse réaliser le plus parfaitement possible son humanité. Or pour cela il nous apparaît aujourd'hui que parmi les conditions essentielles figurent en première place la liberté et la justice. Mais liberté et justice sont-elles effectivement conciliables ? A vouloir réaliser avant tout la justice on court le risque de réduire le dynamisme économique et de devoir renforcer le pouvoir de l'Etat, à préférer l'idéal de liberté on prend le risque d'accroître les différences et les inégalités.

Opposition schématiques sans doute mais qui peut nous faire comprendre combien cette tension est persistante dans les sociétés contemporaines même si elles ont pour la plupart choisi d'accorder à l'idéal de

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liberté la première place, tant au niveau politique qu'au niveau économique. Privilégiant une économie libérale ou comme le disent certains néo-libérale, elles sont aujourd'hui aux prises avec les problèmes posés par une croissance des inégalités et sont interpellées sur la question de la justice sociale et les conditions de sa réalisation. L' « Etat - Providence » est fortement sollicité pour réduire les inégalités ce qu'il ne peut faire dans un système libéral qu'en espérant répartir plus justement la redistribution des biens et venir au secours des « victimes » des injustices. C'est dans ici qu'il nous faut situer les actions « réparatrices » entreprises par ce que nous appelons en France les « travailleurs sociaux ».

Le « travail social » est une activité réalisée soit par des bénévoles soit par des professionnels en vue de permettre à des personnes en situation de marginalisation ou d'exclusion sociale de bénéficier de l'aide nécessaire pour trouver ou retrouver dans la société la place qui s'accorde au mieux avec la dignité humaine. Mais bien des questions se posent. Notamment sur les notions de « travail », d'exclusion », de « marginalisation », de « dignité »...

Les « travailleurs sociaux » constituent un ensemble, d'apparence hétéroclite, composé d'éducateurs spécialisés, d'assistants de service social, d'animateurs, éducateurs de jeunes enfants, conseillers en économie sociale et familiale1... Leur domaine d'intervention est vaste et diversifié selon les problèmes sociaux pour lesquels ils sont sollicités (maltraitances, alcoolisme, toxicomanie, logement, chômage...) Leur approche se situe au croisement de plusieurs champs disciplinaires (droit, économie, psychologie, sociologie..) ; quant à leur public il peut varier en fonction de l'âge, de la situation sociale, économique, culturelle. Enfin leur formation de niveau variable, depuis le niveau VI (enseignement secondaire, jusqu'au niveau I enseignement universitaire (D.E.A. et Doctorat)). Cette formation, toujours en lien avec la pratique de terrain, se fait surtout dans des centres de formation comme les I.R.T.S. (Institut Régional des Travailleurs Sociaux) en partenariat avec l'Etat ; cette formation peut se faire aussi éventuellement par le moyen de certaines universités. Si l'on s'en tient à ce qu'il y a de commun à cette pratique diversifiée du « travail social », celui-ci se présente alors comme une activité centrée sur l'aide aux personnes les plus démunies, les plus misérables, les plus vulnérables. En tant que tel ce travail est porteur d'un idéal moral de justice

En tant que telle cette activité d'aide n'est pas nouvelle. Assumée d'abord par des communautés et des ordres religieux, pratiqué longtemps essentiellement par des bénévoles désireux de venir en aide aux plus

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pauvres, elle a pris la forme d'un travail professionnalisé en même temps que prenait forme, en référence à l'idéal d'égalité et de justice, l'Etat-Providence. Le travail social est apparu alors comme un des moyens dont pouvait se servir l'Etat pour tenter de réduire les effets, politiquement et humainement désastreux de la croissance des inégalités sociales (notamment en France après « les trente glorieuses » c à d à partir des années 70 et l'augmentation du chômage). La situation du travail social est donc étroitement associée d'une part à la situation économique et sociale et d'autre part à l'évolution politique de l'Etat- Providence. Dès lors on pourrait dire avec Pierre Bourdieu (cf. La misère du monde) que « le travail social doit compenser...les effets les plus intolérables de la logique du marché » mais il faudrait aussitôt préciser avec lui « sans disposer de tous les moyens nécessaires ».

De fait le « travail social » se trouve confronté dans sa pratique à de nombreux problèmes, notamment à des contradictions et des paradoxes dont les effets pervers viennent contrarier sinon empêcher la réalisation de ses objectifs et de son but. Ainsi l'intervenant doit-il tenter de résoudre des problèmes pour lesquels il n'est pas toujours compétents ou pour lesquels il n'a pas de solution. Bien souvent, sollicité par une demande sociale pressante et un appel à la solidarité il ne peut proposer qu'une offre institutionnelle limitée, dépendante de politiques sociales savoir et d'arbitrages économiques sur lesquels il n'a aucun pouvoir. En outre comme nous le verrons dans ce qui suit, les situations sont toujours complexes et comportent des composantes personnelles, psychologiques, sociologiques, juridiques qui interagissent. De telles situations exigent une capacité de compréhension et de communication qui relève plus de qualités personnelles que des capacités acquises par le moyen de la formation. Chaque situation étant, de ce fait, unique, comment subsumer la situation sous une règle générale et agir conformément à la demande de l'administration de tutelle en déterminant le cas auquel rapporter la situation ? Enfin il s'agit aussi de penser la relation d'aide dans une perspective éthique comme le moyen de progresser vers la plus grande autonomie possible. Comment réaliser un tel but quand l'aide est dépendante de contraintes multiples venant à la fois de l'administration (qui recherche l'efficacité), de la profession (qui exige le respect des règles de fonctionnement du système), des personnes qui sont les unes et les autres (aidants et aidés) en demande de reconnaissance ? Comment, le travail social, fondé sur une relation d'aide, peut-il permettre à chacun, dans ces conditions, de tendre vers la réalisation la meilleure de son humanité ? Avant de proposer une réponse à cette question il me semble important de relever et de souligner un de traits marquants de nos sociétés (au moins occidentales) aujourd'hui et qui tend à augmenter encore les difficultés à trouver une solution au problème des inégalités sociales, à ce processus d'individualisation croissante qui tend à compromettre les liens sociaux et affaiblit les solidarités.

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L'individualisme contemporain et le travail social Caractères particuliers de « l'individualisme contemporain »

L'individualisme contemporain (tel que l'analyse, par exemple, Gilles Lipovetsky dans L'ère du Vide), trait marquant de nos sociétés occidentales, est porteur d'une logique apparemment contradictoire ; d'une part on peut observer une individualisation exacerbée et en même temps une homogénéisation extrême. Deux tendances qui paraissent incompatibles mais qui en réalité se complètent. Les individus contemporains se voient en effet proposer par la société de consommation à égalité, tous les biens disponibles sur le marché, indépendamment des différences de hiérarchie, de fonction, de sexe...Il en résulte comme on peut le penser des tensions sociales et des frustrations accrues éprouvées par ceux devant qui s'étalent ces biens qu'ils ne peuvent se procurer faute de disposer des moyens financiers nécessaires (la pauvreté est supportable quand tout le monde est pauvre, elle devient insupportable pour les plus pauvres quand au quotidien ils ont à côtoyer de grandes richesses qui s'affichent au grand jour).

Cet individualisme contemporain est narcissique en ce sens que ce qui le préoccupe d'abord c'est un souci de bien-être individuel qui le conduit à privilégier dans ses choix ce qui lui procure le plus de plaisir (plus que jamais le bonheur est confondu avec le plaisir). De ce fait le sens de l'intérêt général s'affaiblit. Par voie de conséquence les liens sociaux se trouvent affaiblis tout comme les conditions de la solidarité. Les rapports à la loi et la reconnaissance de l'autorité font problème.

Et cela d'autant plus que cet individualisme contemporain tend à s'opposer à tout impérialisme des valeurs et à rejeter l'idée de valeurs transcendantes et de normes universelles. Le Vrai, le Bien, le Beau ... deviennent des valeurs relatives à l'appréciation de chacun, exprimée sous la forme d'opinion personnelle. En tout domaine c'est « à chacun ses valeurs, à chacun sa vérité... » ; La relativité se mue en relativisme. Il en résulte une...

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